Flaviano est un compagnon de longue date de Trace-Ecart, avec une première exposition solo en 1986. Notre espace est très heureux de pouvoir présenter ses derniers travaux, réalisés dans ces périodes étranges de confinement, de dérèglement de plusieurs natures voire de basculement du monde.
La narration de l’œuvre de Salzani semble nous emmener au cœur de civilisations inconnues, avec leurs mondes surprenants et leurs objets étranges dont la fonction nous échappe ou du moins nous intrigue. Salzani explore ainsi la mémoire des lieux qui s’arrime aux strates et aux traces brutes de ces mondes oubliés. En arpenteur archéologue, il donne vie aux empreintes des civilisations effacées de nos souvenirs.
Il griffe au stylet nos certitudes et balaye nos doutes par la révélation écorchée de la lumière. Les silhouettes avancent sur la plaine oblongue du jardin du Temps. L’équilibre, fragile et vain, frissonne sous les assauts du vent. Etre. Vivre. Respirer. Voilà des mots qui résonnent dans le vide des blancs des œuvres de Salzani.
Tout cela, je vous le raconte au passé, comme si tout cela s’était déroulé il y a bien longtemps. Finalement, qu’en savons-nous ? Peut-être sommes-nous trompés par certaines références à l’esthétisme pariétal d’une partie de son œuvre. Mais n’est-ce pas là une erreur fondamentale de voir au passé cet homme d’argile se débattre avec son fourbi entassé dans un cady trop grand pour lui ? N’est-ce pas là la réalité des migrations actuelles et futures que le changement climatique va imposer à la moitié du monde ? J’y vois l’homme nouveau, la femme nouvelle, les primitifs du futur.
Je crois que c’est sur ce point précis de l’intemporalité que réside justement toute la force de l’œuvre de Salzani. Elle n’est pas ancrée dans une époque définie et elle se structure avec plusieurs niveaux de lecture possible. Celui-ci y verra les traces d’une civilisation oubliées, celle-là, les formes d’un monde imaginaire, et ces autres encore les métaphores poétiques du monde actuel ou les soubresauts d’une humanité délitée qui se remet du choc de l’effondrement.
Mais je dirais : peu importe au final. Dans les sgraffiti ou les objets sculptés, ce que l’on ressentira, c’est ce que l’on voudra bien y trouver. C’est la vie qui frissonne. C’est le regard rempli d’humanité souvent doux et serein, parfois inquiet, quelque fois combatif qui illumine les visages. Et ici, c’est la force du minuscule détail coloré qui allume la forêt d’arbres en noir et blanc. C’est l’orage qui s’abat sur les champs, qui plie les épis sur le sol et arrache l’arbre centenaire. C’est la vie sociale qui se recompose, avec de nouveaux rituels, avec de nouvelles communautés, qui sortent par petits groupes des abris, ou avec de nouveaux artefacts symboliques.
N’est-ce pas là le miroir de nos propres doutes et de nos propres craintes face à un monde qui se transforme à une vitesse folle, comme si Salzani nous présentait par anticipation un nouveau monde tout juste émergeant du grand cataclysme ?
L’artiste a travaillé dans l’ombre et la chaleur de son atelier, qui est en soit un monde à part, à l’image de son œuvre. On y sent ses doutes et ses certitudes, ses fragilités et ses forces, ses blessures et ses guérisons, avec les cicatrices de la vie qui donne cet immense souffle, cohérent, limpide et lumineux à tout son travail.
De l’ombre à la lumière, les œuvres remisées jusqu’à lors dans l’atelier sont aujourd’hui affichées sur la cimaise ou posées sur leur socle avec une joie et plénitude griffées en noir et blanc, parfois avec un halo de couleur, avec la toute-puissance d’un esthétisme à la fois brut et éthéré, primitif et complexe, souvent enfermé mais bien vivant au cœur d’un cadre rouge.
Flaviano nous emmène dans un silence rempli de plénitude pour nous faire partager ce monde si attirant, qui fait partie de lui et qui nous fait voyager avec poésie en nous remplissant d’espoirs et de sourires.